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    La culture du viol, c'est quoi?

    Toutes les 7 minutes en France, une femme est violée.

    L'expression «rape culture», ou «culture du viol», désigne une société ou culture dans laquelle la violence sexuelle est considérée comme la norme - une société où l'on ne dit pas aux gens de ne pas violer, mais plutôt de ne pas être violés. Le terme a été utilisé pour la première fois par les féministes dans les années 1970, mais il a gagné en popularité ces dernières années suite au nombre grandissant de témoignages de victimes.

    Voici le petit manuel du débutant sur la culture du viol.

    Tout le monde peut être un violeur

    L'idée principale propagée par la culture du viol est qu'un viol se produit lorsqu'une femme est attaquée soudainement par un inconnu caché dans des buissons. Et des viols de ce genre se produisent effectivement. Mais ce ne sont pas les seuls exemples, et ce genre d'idées reçues peut dissimuler la réalité, bien plus complexe, du viol.

    Comme le résume Laurie Penny dans The Independent:

    Dans notre culture, nous refusons encore collectivement l'idée que la plupart des viols sont commis par des hommes ordinaires, qui ont une famille et des amis, et même des hommes qui ont pu accomplir des choses extraordinaires dans leur vie. Nous refusons d'accepter que des hommes sympas violent, alors que c'est souvent le cas. Nous ne l'avons pas accepté, en partie, parce que c'est une idée douloureuse à contempler - il est beaucoup plus simple de continuer à se dire que seuls des hommes maléfiques sont capables de violer, des hommes violents, des psychopathes à l'air louche qui se cachent dans des allées sombres avec un couteau, plutôt que d'envisager le fait que les violeurs pourraient être des hommes ordinaires. Des hommes qui pourraient être nos collègues, nos amis, ou nos mentors.

    La notion de «viol gris»

    Le «viol gris», ainsi décrit par le magazine Cosmopolitan, est une relation sexuelle qui se situe «quelque part entre le consentement et le refus», où «les deux personnes ne sont pas vraiment sûres de qui voulait quoi». Et sa prévalence est en grande partie dûe au manque d'information sur ce qui constitue le consentement.

    Selon une étude britannique menée auprès de personnes de 14 à 25 ans, près d'un tiers des étudiants n'abordent pas la question du consentement lors de leurs cours obligatoires d'éducation sexuelle. En France, l'idée même d'une éducation sexuelle à l'école fait encore débat.

    «Un viol, ce n'est pas seulement un homme qui colle un pistolet sur la tempe de sa victime» explique Michele Decker, professeure à l'université Johns Hopkins, commentant un rapport de l'ONU qui se focalisait sur le viol dans six pays asiatiques. Selon le rapport, les hommes interrogés décrivaient souvent des actions qui correspondent à la définition légale d'un viol - un rapport sexuel non consenti - mais n'utilisaient pas le mot «viol».

    «Les gens voient souvent le viol comme quelque chose que les autres font.», écrit ainsi Michele Decker.

    «No Means Yes»

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    L'expression «no means yes» («non veut dire oui») est devenue tristement célèbre après que des étudiants de l'université prestigieuse de Yale l'ont chantée en guise de rite de passage dans leurs fraternités. L'idée sous-jacente est le mythe selon lequel une femme qui dit ne pas avoir envie d'un rapport sexuel est en fait une aguicheuse, et que même s'il faut un peu la forcer au début, dans le feu de l'action, elle finira par succomber au charme de l'homme.

    L'idée de la «poursuite» romantique est vieille comme le monde. Que ce soit à la télé, dans les chansons ou dans les films, les allers-retours entre un homme et une femme peuvent, bien entendu, être romantiques. Et même si certaines œuvres culturelles ne semblent pas mal intentionnées au départ - les chansons Blurred Lines ou Baby It's Cold Outside, par exemple - une partie importante de la lutte contre la culture du viol est de reconnaître l'importance de l'espace personnel et de la prise de décision.

    Le fait qu'un «non» puisse signifier «oui» est une question complexe. Par exemple, dans les communautés BDSM, un «non» peut tout à fait vouloir dire «oui». Mais comme l'explique Jessica Valenti dans The Nation, le problème est que le consentement n'est pas le mode par défaut :

    Tant que la culture et la loi américaines ne définiront pas le consentement sexuel comme quelque chose qui est donné de façon claire et enthousiaste, il n'y aura pas de justice pour les victimes de viol. Il est temps pour les États-Unis de laisser tomber le concept de "non, c'est non" pour définir la violence sexuelle, et de passer au "oui, c'est oui."

    Accuser les victimes plutôt que les coupables

    Le 8 janvier 2012, une Américaine de 14 ans aurait été violée par un joueur de foot du lycée de Maryville, après s'être endormie sous l'effet de l'alcool.

    Le 12 août 2012, une Américaine de 16 ans a été violée par deux joueurs de foot du lycée de Steubenville, après s'être endormie sous l'effet de l'alcool.

    Les deux cas ont été largement médiatisés aux États-Unis - bien que seule l'affaire du collège de Steubenville s'est achevée par une condamnation. Mais la plus grande similitude entre les deux affaires est le traitement des deux jeunes filles, qui étaient toutes les deux en état d'ivresse, et ont toutes les deux accusé des garçons appartenant à une communauté très soudée, dont elles-mêmes ne faisaient pas partie. (Daisy Coleman avait récemment emménagé dans la région, et l'adolescente de Steubenville vivait dans un autre État.)

    Peu après les deux incidents, des amis des garçons ont commencé à insulter les victimes sur les réseaux sociaux. Quand les affaires ont été médiatisées à l'échelle nationale, l'hostilité envers les deux filles n'a fait que s'intensifier. Beaucoup ont préféré se focaliser sur l'attitude des filles, plutôt que celle de leurs agresseurs.

    Un comportement que l'on retrouve malheureusement dans de nombreuses affaires de viol, l'exemple le plus marquant étant les remarques dont va être la cible la victime (par son entourage mais aussi parfois par les enquêteurs ou le personnel médical) sur la façon dont elle était habillée ou son comportement avant le viol - sous-entendant, même de façon non-intentionnelle, qu'elle l'avait un peu cherché.

    «Slut Shaming»

    Le concept de «slut shaming» («humiliation de salope» en français), comme son nom l'indique, consiste à blâmer publiquement une femme pour ses rapports sexuels (qu'ils soient consentis ou pas). Il se traduit souvent par des réflexions du genre «Elle avait qu'à pas être bourrée» (voir paragraphe précédent), ou tout simplement par le fait de qualifier une femme d'allumeuse ou de «salope», un qualificatif qui, rappelons-le, ne connaît pas d'équivalent masculin. (Non, «salaud» n'a pas de connotation sexuelle.)

    Il existe des dizaines d'exemples d'actes sexuels en public devenus viraux sur le net. La photo en haut à gauche montre ce qui à l'époque a été désigné comme une agression sexuelle présumée, ayant eu lieu dans une rue noire de monde lors d'un événement organisé par l'université de l'Ohio. Au lieu de prévenir la police, ou de simplement ignorer l'incident, les passants ont préféré s'en moquer sur Vine et Instagram.

    Sur la droite, un incident similaire, qui est arrivé à une adolescente irlandaise lors d'un concert d'Eminem. Des photos d'elles ont été publiées sur Facebook, et elle est rapidement devenue un meme, sous le nom de #SlaneGirl («la fille de Slane»). Selon Eva Wiseman, du Guardian, cet incident est un exemple extrêmement triste mais malheureusement très courant du phénomène d'humiliation publique qui se porte uniquement sur la femme, et qui se produit désormais à une échelle internationale.

    Harcèlement de rue

    Le harcèlement de rue peut être subi de manière quotidienne par les femmes, et contribue à renforcer l'atmosphère de violence et d'impuissance qui permet à la culture du viol de prospérer. Stopstreetharassment.org explique qu'un monde où les hommes sont à l'aise avec l'idée de faire des avances non-sollicitées dans la rue à des femmes qu'ils ne connaissent pas est un monde où les hommes sont à l'aise avec le viol. Ils citent également l'article de Phaedra Starling sur «le violeur de Schrödinger»:

    Un homme qui ignore le NON d'une femme dans un cadre non-sexuel est plus susceptible d'ignorer le NON d'une femme dans un cadre sexuel. (...) Si vous continuez une conversation alors qu'elle a tenté d'y mettre fin, vous lui envoyez un message. Celui que votre désir de lui parler est plus important que son droit de rester seule.

    Le mythe de la prévention du viol

    Beaucoup de conversations sur le viol se focalisent sur une attitude préventive, comme le fait de dire aux femmes ce qu'elles ne doivent pas faire, ce qu'elles ne doivent pas porter, où elles ne doivent pas aller. Mais cette logique ne place aucune responsabilité sur les agresseurs. La vieille métaphore est que les femmes qui s'habillent de façon provocante sont comme les gens qui ne verrouillent pas leur porte la nuit. Mais cet argument ne sert qu'à réduire les femmes à de simples objets, et à leur dire qu'éviter leur propre viol relève de leur responsabilité.

    Shakesville offre à ce propos une excellente explication de la culture du viol:

    La culture du viol est le fait de dire aux filles et aux femmes de faire attention à ce qu'elles portent, comment elles le portent, comment elles se comportent, où elles vont, quand elles y vont, avec qui elles doivent marcher, à qui elles doivent faire confiance, ce qu'elles doivent faire, où elles peuvent le faire, avec qui elles doivent le faire, ce qu'elles boivent, en quelle quantité, s'il faut ou non regarder dans les yeux, si elles sont seules, si elles sont avec un inconnu, si elles sont en groupe, si elles sont avec un groupe d'inconnus, s'il fait sombre, si elles ne connaissent pas bien le quartier, si elles transportent quelque chose, comment le transporter, quelles chaussures elles portent au cas où elles devraient courir, quel genre de sac elles portent, quels bijoux elles portent, quelle heure il est, dans quelle rue, dans quel environnement, avec combien de gens elles couchent, avec quel genre de gens elles couchent, qui sont leurs amis, à qui donner leur numéro, si elles sont seules lorsqu'elles se font livrer, c'est leur dire qu'il faut avoir une porte avec un judas, qu'il faut regarder dans le judas avant d'ouvrir la porte, qu'il faut avoir un chien ou une machine qui simule les aboiements d'un chien, qu'il faut avoir un colocataire, qu'il faut prendre des cours de self-defense, qu'il faut toujours être vigilante toujours faire attention toujours regarder derrière soi toujours regarder autour de soi et ne jamais baisser leur garde et que si malgré toutes leurs précautions elles se font agresser sexuellement c'est qu'elles n'ont pas suivi les règles et que c'est de leur faute.

    Les astuces anti-viol

    Récemment, on assiste à la commercialisation de produits «anti-viol» comme un préservatif à nervures ou des collants poilus pour les femmes. Cela envoie le message que pour ne pas être agressées, elles doivent se protéger ou se rendre volontairement moins attirantes, plutôt que de dire aux hommes de faire attention à respecter les limites personnelles et sexuelles d'une femme.

    Emma Wooley, du Globe and Mail, a écrit sur l'effet déplorable de ces astuces anti-viol, expliquant «[qu']en fin de compte, il faut s'y résoudre: certaines femmes sont devenues tellement persuadées du caractère inévitable d'une agression sexuelle qu'elles se transforment en mécanisme de défense anti-viol.»

    Les blagues sur le viol

    Au delà du débat «est-ce que les blagues sur le viol peuvent être drôles» (oui), il faut surtout se demander s'il est vraiment sain dans une société de rire de la violence sexuelle.

    En 2012, le comédien Daniel Tosh a été pris dans une controverse à ce sujet. Lors d'un spectacle de stand-up, une femme dans le public lui a reproché le fait qu'une de ses blagues sur le viol n'était pas drôle. Ce à quoi il a répondu «Ce serait pas marrant si cette femme se faisait violer par genre 5 mecs, là tout de suite?» (Hilarant, n'est-ce pas?).

    Après l'incident, Lindy West de Jezebel a écrit un article intitulé «Comment faire une blague sur le viol.» Selon elle, la blague de Daniel Tosh, ainsi que la plupart des blagues célèbres sur le viol, ont pour seul effet d'affirmer le pouvoir de l'homme sur la femme, et ne font que perpétuer une dynamique qui rend l'agression sexuelle normale et acceptable. West écrit: «personne ne dit que vous n'avez pas le droit de parler de viol. Il suffit juste d'être décent lorsque vous le faites, ou bien d'accepter le fait que vous contribuez à pourrir le monde.»

    La «Friend Zone»

    Une notion appliquée aux deux sexes, mais le plus souvent, c'est l'idée qu'un «mec gentil» puisse être injustement placé dans une zone non-sexuelle par une femme qui ne réalise pas qu'il est l'homme parfait pour elle. La friend zone encourage l'idée selon laquelle le sexe est une récompense pour avoir été gentil (et l'absence de sexe, une punition).

    Ajoutez à cette notion le fait que 74% des viols sont commis par une personne connue de la victime, et soudainement, l'idée d'un ami qui aime une fille en secret et qui a du mal à respecter son espace privé n'a plus rien de romantique.

    Le blogueur Kevin Beirne explique clairement comment le concept de «friend zone» peut renforcer la culture du viol:

    Le mythe de la friend zone est dangereux et insultant car il perpétue l'idée que la femme est un trophée ou une récompense pour avoir été «gentil». Cela déshumanise les femmes d'une manière beaucoup plus subtile que le harcèlement de rue, et c'est pour cela que tant de gens tombent dans le piège. Je m'y suis laissé prendre aussi, quand j'étais jeune.

    Les artistes de la drague

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    Le mouvement des Pickup Artists, ou «artistes de la drague», repose sur la croyance que non seulement les femmes sont des objets sexuels qui doivent être conquis, mais que ce processus de conquête est une science qui peut être perfectionnée. Dans la vidéo ci-dessus, qui a beaucoup tourné sur internet, l'un de ces «artistes de la drague» se balade sur son campus et prend des filles qu'il ne connaît pas par surprise en les soulevant du sol.

    En juin 2013, Kickstarter a banni un «guide de la séduction» rédigé par un certain Ken Hoinsky, lorsque des utilisateurs se sont rendus compte qu'il s'agissait plus ou moins d'un guide pour contraindre une femme à coucher avec un homme.

    Le mois suivant, S.E. Smith du site XoJane a désigné le problème inhérent au mouvement des «artistes de la drague»:

    Évidemment, plein de gens peuvent lire les conseils de pros de la drague sans devenir des violeurs. Ils peuvent même s'identifier comme des pros de la drague et employer certaines de ces techniques dans le but de conquérir des partenaires sexuels, sans devenir des violeurs; mais je maintiens qu'ils participent quand même d'une culture hautement sexiste et complaisante qui consiste à traiter les femmes comme des trophées à gagner plutôt que comme des êtres humains.

    La peur d'en parler

    Sur les campus américains - où une femme sur cinq est victime d'une agression sexuelle - seule une sur huit en parle. Selon une étude du National Institute of Justice, c'est en partie parce que les victimes de cet âge-là estiment souvent que «ces incidents ne sont pas assez graves pour être dénoncés», ou qu'elles ne «veulent pas que leur famille ou que leurs amis soient au courant». Elles se sentent limitées par «l'absence de preuves, la peur des représailles, la peur d'être traitées de manière hostile par la police, et la crainte que les policiers ne considèrent pas l'incident comme assez sérieux ou préfèreraient ne pas s'occuper d'un tel incident».

    Même pour les victimes qui finissent par porter plainte, il n'y a aucune garantie que leur agresseur soit un jour condamné. Les kits d'examen post-viol s'entassent par milliers aux États-Unis en attendant d'être analysés, mais comme l'a récemment déploré un rapport de la Maison Blanche, «même lorsque quelqu'un est arrêté, les procureurs rechignent souvent à traiter des affaires de viols ou d'aggressions sexuelles.»

    Dans l'armée américaine, où une femme sur trois est agressée par ses collègues, la peur de parler est aggravée par le poids de la hiérarchie, selon une enquête du Département de la Défense. Les auteurs de l'enquête ont constaté que 62% des femmes qui ont signalé leur agression ont subi des représailles. Selon le documentaire The Invisible War, nommé aux Oscars en 2013, 33% de femmes militaires n'ont pas signalé leur viol car la personne à qui elles devaient en parler «était un ami de l'agresseur», tandis que 25% ne l'ont pas fait car «la personne à qui elles devaient en parler était l'agresseur lui-même.»

    Selon le RAINN (Rape, Abuse and Incest National Network), seulement 3% des violeurs sont condamnés à une peine de prison. En 2007 en France, 2% des viols étaient condamnés en assises. Dans l'armée américaine, 2% sont condamnés.

    Fausses accusations de viol

    Aux États-Unis, il existe de nombreux cas de policiers ayant tenté d'intimider des victimes de viol pour qu'elles admettent avoir tout inventé - une pratique répandue qui alimente les «fausses statistiques».

    Les «faux viols» sont souvent brandis en étendard par les défenseurs des «droits masculins», qui craignent souvent qu'une femme, par revanche, ou simplement par regret d'avoir couché avec eux, en appelle à la sympathie d'un jury pour les accuser de viol. Mais ce raisonnement ne se limite pas aux militants des male rights; la femme qui a porté plainte contre le joueur de football américain Jameis Winston pour agression sexuelle a par exemple été accusée de chercher à détruire sa carrière.

    Mais la réalité des accusations de «faux viol» est claire: le fait qu'une femme mente aux autorités à propos de son agression est à la fois statistiquement rare, et difficile à prouver. Le FBI a déclaré que tenter de transformer ces quelques cas en statistiques serait insensé. Il n'existe pas de chiffres officiels concernant les fausses accusations de viol - cela arrive, mais c'est très rare.

    Le pouvoir de la célébrité

    Le pouvoir de la célébrité dans les affaires d'agressions sexuelles a été longuement débattu en France lors de l'affaire DSK. Outre-Atlantique, un débat similaire a eu lieu autour de Woody Allen. En février 2014, Dylan Farrow a publié une lettre ouverte dans le New York Times sur une agression présumée commise par son père adoptif Woody Allen, lorsqu'elle avait 7 ans. Beaucoup ont exprimé leur soutien, mais de nombreux lecteurs et auteurs se sont exprimés sur le fait qu'ils ne la croyaient pas, ou qu'ils ne voulaient pas la croire.

    Bien que les détails des deux affaires soient très différents, les réactions aux allégations de Dylan Farrow rappellent celles qui ont suivi les accusations de viol de Kobe Bryant en 2003. Comme Woody Allen, Bryant est respecté et admiré, et beaucoup de ses fans ont été prompts à discréditer sa victime présumée. Aujourd'hui, une décennie plus tard, plus personne ne parle du passé de violeur présumé de Kobe Bryant. Et il a fallu de nombreuses années pour que les accusations de viol contre Bill Cosby soient prises au sérieux.

    La lettre de Dylan Farrow ne nous a rien appris de nouveau; ses accusations sont publiques depuis près de deux décennies, et ont refait surface à la fois dans le portrait de sa mère publié par Vanity Fair et dans le live-tweet des Golden Globes 2014. Mais comme Kobe Bryant, Woody Allen, dont l'œuvre est acclamée, a été capable de balayer ces accusations à plusieurs reprises, prouvant qu'il est tout à fait possible de supporter une réputation de violeur tant qu'on est assez talentueux et respecté.

    Pendant ce temps-là, le photographe Terry Richardson, accusé à de nombreuses reprises depuis 2010 d'avoir abusé de ses modèles, continue de travailler avec de nombreuses marques, notamment françaises. Marc Jacobs, le directeur artistique de Louis Vuitton jusqu'en 2013, avait d'ailleurs affirmé en réponse aux allégations que Richardson n'était pas «mal intentionné».

    Le marronnier du «futur prometteur»

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    Lorsque Trent Mays et Ma'lik Richmond ont été condamnés suite à l'affaire de Steubenville (évoquée plus haut), la journaliste de CNN Poppy Harlow les a décrit comme «deux jeunes hommes qui avaient un avenir tellement prometteur, des stars du football, d'excellents élèves, [qui] ont littéralement regardé leur vie s'effondrer».

    Lorsque le New York Times a enquêté sur les accusations de viol faites par Nafissatou Diallo contre Dominique Strauss-Khan, elle a été décrite par ses voisins et ses collègues comme une «personne aimable», qui «n'avait jamais causé d'ennuis à personne».

    Dans The Atlantic, Jeffrey Goldberg a écrit pourquoi selon lui, le fait que les médias se focalisent sur la personnalité d'une victime présumée - ou sur le futur prometteur de l'agresseur présumé - pose problème: «Je ne comprends pas ce genre de journalisme. Quel est l'intérêt? Est-ce vraiment important que la victime soit aimable? Que ce soit une personne respectable? Est-ce vraiment important qu'elle n'ait jamais posé de problème à personne? Bien-sûr que non. Un viol, c'est un viol. La personnalité de la victime est hors de propos.»

    Viol masculin

    Depuis 1927, le droit américain définissait le viol comme «la connaissance charnelle d'une femme, de force et contre son gré.» En 2012, un rapport officiel du FBI a redéfini le viol pour refléter le fait que les hommes aussi peuvent en être victimes. Sa définition légale est désormais «la pénétration du vagin ou de l'anus par n'importe quelle partie du corps ou objet, ou la pénétration orale par l'organe sexuel d'une autre personne, sans le consentement de la victime.»

    Cette distinction légale est importante - car le viol masculin, bien que moins fréquent, est une réalité. Et il n'est souvent couvert par les médias que lorsque des hommes importants sont impliqués - des coach de sport ou des prêtres, le plus souvent. Par ailleurs, les victimes masculines manquent souvent de ressources pour se faire entendre et souffrent d'un isolement différent de celui des victimes féminines.

    L’ignorance du viol dans les communautés minoritaires

    Les histoires de viol qui parviennent à prendre de l'importance dans les médias ou la culture populaire sont souvent celles de victimes blanches et hétérosexuelles - bien que selon le RAINN, 34% des femmes Amérindiennes et Alaskaines seront victimes d'un viol ou d'une tentative de viol dans leur vie. C'est près du double de la proportion concernant les femmes blanches (17,7%) et les femmes noires (18,8%). Une femme sur trois, autrement dit, une «proportion épidémique.»

    Par ailleurs, dans la communauté LGBT, la pratique du «viol disciplinaire» - lorsque le violeur cherche à «guérir», «corriger» ou «punir» ce qu'il considère comme une maladie sexuelle de sa victime - est un autre problème grave qui reçoit malgré tout peu d'attention dans les médias.